Les journalistes du syndicat SNJ - CGT de France
Télévision ont demandé la déprogrammation d’un débat entre le ministre de l’Immigration
Eric Besson et Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, sur France 2.
Il va servir à alimenter disent-ils, « l’infâme débat sur l’identité
nationale » et « servira à flatter les mauvais instincts ».
Toutes les opinions doivent s’exprimer et qu’un syndicat marque sa désapprobation
ne me choque pas. Mais qu’il s’érige en censeur et demande l’annulation pure et
simple d’un débat entre deux
responsables politiques me paraît excessif et dangereux.
Le débat sur l’identité nationale fait tourner
les têtes. Il déclenche les passions et c’est bien normal. Mais au nom de quoi
un syndicat de journalistes voudrait-il l’interdire ? D’exclusions en
anathèmes, il me semble que la démocratie recule.
Le terme d’identité nationale est devenu un
terrain miné. Mais cela dérange-t-il vraiment hommes politiques et responsables
des médias ? Ils feignent le dégoût mais en fait ils s’en délectent. Car
voilà qui permet de mettre un peu de passion dans les duels télévisés. Il
suffit d’allumer la mèche et c’est un vrai feu d’artifice ! Déclenchant
fantasmes, insultes et excommunications, le débat sur l’identité nationale
convient parfaitement au nouveau temps médiatique : faire court et
spectaculaire.
Je suis aux Etats-Unis et je viens d’assister à
une repentance télévisuelle tout à fait instructive. Le sénateur Reid, leader
de la majorité démocrate au Sénat a présenté ses excuses au Président américain
au cours d’une conférence de presse. Excuses acceptées par Barack Obama,
magnanime. Reid avait déclaré durant la campagne électorale – ce que viennent
de révéler deux journalistes dans un livre – que le candidat Obama avait plus
de chance de gagner que tous ses prédécesseurs noirs, car il avait « a
light-skinned appearance » - la peau plus claire -, et qu’il ne s’exprimait
pas dans un « negro-dialect ». C’est surtout ce dernier terme qui a
choqué - à raison - l’opinion et les observateurs politiques.
Dans un éditorial publié par le Los Angeles
Times, David Greenberg, professeur d’histoire, de journalisme et spécialiste
des médias déplore tout de même la place réservée à un tel dérapage. Il rappelle
d’ailleurs que l’expression « negro-dialect » est recensée dans 3 780
publications par Google et que jusque là, on ne lui avait pas trouvé un caractère
raciste.
Mais plus sérieusement, David Greenberg voit
dans cette affaire une nouvelle manifestation de ce cycle de fausses
controverses dans lequel médias et monde politique trouvent leur compte. La
presse et notamment les chaînes de télévision préfèrent les scandales et les
mises à mort aux longs exposés polis et nuancés. Quant aux politiques, ils
s’accommodent fort bien de cette vision binaire où l’adversaire n’est pas un
contradicteur mais un salaud qu’il faut expédier au tapis.
Aux Etats-Unis comme en France, le terrain le
plus propice à ces empoignades est l’immigration, la xénophobie et le racisme.
Ce sont les feux qui bouent sous la marmite de l’identité nationale. Il est
urgent de les éteindre. Mais une prise de conscience collective est préférable à
la censure.