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Blog officiel de Bernard de La Villardière
1 février 2010

Afghanistan : un bon journaliste doit-il être inconscient ?

 

Cela fait plus d’un mois que les deux journalistes de France 3 sont retenus en Afghanistan par un groupe d’hommes armés dont on ne connaît pas les motivations. Rapt crapuleux ou « politique » ? L’armée française et les services de renseignement font sans doute de leur mieux.  Le 31 janvier sur BFM radio et TV, Claude Guéant secrétaire général de l’Elysée a indiqué qu’il y avait « une quasi-certitude » que nos deux confrères étaient vivants et que les négociations les concernant n’avaient « pas démarré ». Il n’y a pas eu cette fois de commentaire déplacé sur « l’inconscience » des deux reporters. 

Nos confrères n’ont pourtant fait que leur métier. Le 26 janvier dernier, nous avons organisé au Press Club de France un débat : « Journalisme et Prise de Risque ». Dominique Gerbaud, président de Reporters Sans Frontières a rappelé que les deux envoyés spéciaux travaillaient le jour de leur enlèvement sans la protection de l’armée française. Ils voulaient être en contact direct avec la population pour qu’elle puisse répondre en toute liberté à leurs questions. Difficile en effet de travailler avec un gilet pare balles, encadré par deux soldats de l’ISAF ! Ne serait-ce que par égard envers les Afghans que l’on interroge et qui pourraient penser que l’on se méfie d’eux. 

En février 2 008 je suis allé en Afghanistan pour Enquête Exclusive. Nous faisions un reportage sur les missions de l’armée française : sécurisation de Kaboul, formation et entrainement des soldats afghans, opération de déminage… Notre équipe logeait au régional Command de l’ISAF à Kaboul, sur l’axe violet réputé le plus dangereux car emprunté par tous les convois militaires et donc cible privilégiée des attaques des talibans. Mais il fallait aussi nous rendre en ville pour interroger les habitants de la capitale afghane sur leur vie quotidienne et leur vision du conflit. Nos hôtes désapprouvaient que nous refusions leur proposition d’escorte militaire. Pas de leçon de morale mais leur regard en disait plus que de longs discours ! Je ne faisais pas le fier non plus sachant bien que s’il nous arrivait malheur, ces hommes seraient sans doute les premiers à risquer leur vie pour nous retrouver.  

Assurément, couvrir une guerre à la quelle participe votre pays n’est pas une situation commode. Quelle conduite tenir ? Aucune attitude n’est vraiment satisfaisante. Rester sous son drapeau vous prive du recul et du sens critique. Vous en éloigner vous expose au risque de devenir un élément de marchandage qui compromet votre nation et la mission pour laquelle elle a déployé son armée.

Car aujourd’hui, dans un monde complexe qui suscite plus d’obscurantisme que de tolérance, journalistes et humanitaires sont considérés comme parties prenantes d’un conflit. « D’où parles-tu camarade ? », l’interjection d’autrefois poussée dans les cellules du PC est devenue règle de comportement. Le journaliste peut de moins en moins afficher une neutralité de bon aloi pour franchir les lignes de front et les barrages armés. Qu’on le veuille ou non, nous sommes considérés en Irak et en Afghanistan comme les représentants d’une puissance occupante.

Faut-il pour autant renoncer à couvrir l’actualité dans certaines régions du monde ? Evidemment pas, quoi qu’en pense l’Elysée. Mon ami Emmanuel Razavi qui a tant parcouru le Pakistan et l’Afghanistan m’a transmis cette citation : « Un journaliste affronte les batailles, court dans les rues des villes bombardées, trébuche sur les cadavres, risque la fusillade, l’obus ou les bombes aveugles à chaque seconde, voulant tout voir, tout savoir parce que c’est sa mission ». Elle date de 1937, elle est signée Pierre Lazareff, décrivant le travail des envoyés spéciaux pendant la guerre d’Espagne.  

Regardez la vidéo du débat au Press Club :


Journalisme et prise de risque : débat

 

 

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